| |||||
|
'Jamais frères? Ukraine et Russie: une tragédie postsoviétique' par Anna Colin Lebedev
- 21 February 2023
- Reading suggestion
- gsclibrary
Foreign affairs & international relations Enlargement Eastern Europe and Central Asia
Ukraine et Russie: deux pays qui partagent des pans de passé communs et des similitudes linguistiques ou culturelles, mais qui ne cessent de s'éloigner dans les années postsoviétiques, arrivant au point de rupture à partir de 2014 avec l'annexion de la Crimée et la guerre du Donbass.
L'autrice, s'appuyant sur des parallélismes et des exemples précis, avance des contre-arguments au discours de Vladimir Poutine, qui parle de "peuples frères" et de "l'unité historique des Russes et des Ukrainiens". Ce concept sert plutôt à des fins politiques et en l'occurrence à des fins militaires dans le contexte de l'invasion militaire de l'Ukraine par la Russie.
Des similitudes et des points communs entre les deux pays existent, et résultent en grande partie de l'uniformisation des modes de vie pendant la période soviétique. Mais il serait erroné de considérer que les divergences sont apparues après la dissolution de l'URSS. Elles préexistaient à celle-ci et étaient ancrées dans la vie quotidienne et les mémoires familiales.
En explicitant ce qui lie et ce qui sépare les sociétés russe et ukrainienne, l'autrice se penche surtout sur le rapport à l'histoire soviétique, la construction d'une mémoire de la seconde guerre mondiale, la place des communautés juives et de la mémoire de la Shoah, le rapport à l'État et au pouvoir politique, le rapport à la violence, et la place des langues.
Le régime soviétique avait mis en place une économie planifiée et s'attachait à la transmission d'une culture commune et standardisée. Avec la chute de l'URSS, après une période de transition difficile, les répressions du régime stalinien ainsi que l'évolution politique de chacun des deux pays ont conduit à l'émergence de mémoires douloureuses enfouies au fil des décennies, mais qui dans la cas de l'Ukraine ont joué un rôle central dans la construction de la conscience nationale. La grande famine, ou Holodomor en ukrainien, résultat des répressions, des persécutions des paysans ukrainiens possédant des terres riches et fertiles, et de la confiscation des terres et des denrées, s'est soldée par 4 millions de victimes. L’objectif était-il de s'attaquer aux paysans ou d'exterminer un peuple, les Ukrainiens? Les interprétations divergent. Néanmoins, Holodomor, qualifié de génocide de la nation ukrainienne, a marqué la mémoire du peuple ukrainien.
Selon l'autrice, la seconde guerre mondiale est vue par la majorité des Ukrainiens selon deux angles: celui du combat nationaliste contre l'occupant soviétique et celui du combat contre l'occupant nazi. Elle aborde également la question de la Shoah selon l'Union soviétique. Sous le régime soviétique, les victimes de la Shoah étaient en effet comprises dans le décompte général des pertes civiles de l'URSS, car pour Staline et son pouvoir, il n'y avait qu'"un seul vainqueur et un seul martyre, le peuple soviétique".
L'hiver 2013-2014, au cours duquel les Ukrainiens sont sortis sur la place publique pour manifester contre le pouvoir en place, a creusé encore plus la distance entre les deux peuples. Pour les Ukrainiens, le Maïdan hivernal a constitué une action civique rassemblant le peuple autour d'une conviction commune, mais aussi un moment de partage et d'émotion. C'est aussi le moment où le peuple ukrainien s'est éloigné du peuple russe. Si Moscou pouvait contrôler les hommes politiques en utilisant différents leviers, elle ne pouvait faire flancher la détermination du peuple ukrainien qui regardait vers l'Ouest et souhaitait l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne.
L'annexion de la Crimée marque le début de la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Elle bénéficiait du soutien massif de la population russe, en partie en raison de la place particulière de la péninsule dans l'imaginaire russe mais aussi d'une campagne de désinformation. Pour les Ukrainiens, l'annexion de la Crimée fut ressentie comme une agression, et surtout comme un choc majeur créant une fracture importante avec les Russes. Des Ukrainiens ont imputé cette attitude russe au rôle des médias et de la propagande russe, d'autres ont attribué l'annexion à l'idée de la continuité impériale, selon laquelle l'indépendance de l'Ukraine est impensable.
Mais l'annexion de la Crimée, baptisée par le pouvoir russe "opération spéciale", a été suivie par une autre opération spéciale: la guerre lancée en février 2022. L'autrice estime que du point de vue des sciences sociales, on manque encore de recul pour mettre en perspective l'évolution de la situation. Néanmoins, les discours côté russe et ukrainien sur la nature de la guerre montrent bien que la question du passé commun est centrale. Pour les Ukrainiens, ce passé commun n'est qu'un subterfuge utilisé par les Russes et surtout le Kremlin pour faire avancer leur projet de destruction. Le processus de réconciliation ne sera possible que lorsque "la Russie, pouvoir et société, sera prête à reconsidérer ses valeurs, son passé et sa vision de son avenir… et à questionner cette 'grandeur de la Russie' qui lui sert aujourd'hui d'étendard".
Ce livre constitue une sorte de base de données détaillée qui pourrait être utile tant pour des citoyens curieux que pour des chercheurs qui aimeraient comprendre l'histoire des deux peuples, en particulier depuis l'ère soviétique jusqu'à aujourd'hui.
Anna Colin Lebedev est maître de conférences en sciences politiques, spécialiste des sociétés postsoviétiques. Elle a également publié "Le cœur politique des mères" et "Analyse du mouvements des mères de soldats en Russie".
Les collègues travaillant au sein du Conseil peuvent emprunter ce livre via Eureka
This post does not necessarily represent the positions, policies, or opinions of the Council of the European Union or the European Council.
The Council Library reading room is open on Monday to Friday from 12.30 to 15.30. The Info Desk operates during office hours from Monday to Friday.